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Front de gauche de Lizy et du Pays de l'Ourq 77
24 février 2012

Des images pour comprendre [Blog d'Olivier Berruyer]

 

 

J’ai eu le plaisir de pouvoir interviewer Jean Peyrelevade durant une heure cette semaine.

Homme de centre-gauche, polytechnicien, conseiller économique et directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy en 1981 du Premier ministre, il géra alors les nationalisations du secteur financier. Il a dirigé plusieurs grandes entreprises contrôlées par l’Etat : Suez de 1983 à 1986, la Banque Stern de 1986 à 1988, l’UAP de 1988 à 1993, et le Crédit lyonnais de 1993 à 2003. Il dirige depuis la banque d’affaires européenne Leonardo & Co.

Il milite en particulier depuis longtemps pour l’interdiction des stock-options, la modération des rémunérations des dirigeants, la récompense des actionnaires investisseurs à long-terme ou la séparations des activités bancaires entre banque de dépôt et banque de marché – thèmes qui me sont chers.

Je ne partage pas 100 % de ses vues, mais j’ai beaucoup aimé débattre avec lui – il représente une forme assez rare de grand patron…

Pour une meilleure lisibilité, je vous recommande de lire plutôt sur la version pdf disponible ici.

Olivier Berruyer : Alors, la Grèce est sauvée… ?

Jean Peyrelevade : Non !

Jean PeyrelevadeEt les problèmes de la Grèce et plus généralement ceux de la zone euro ne sont pas réglés. Ce qui est provisoirement résolu, ce sont les prochaines échéances de la dette grecque. Mais il y a toujours plusieurs problèmes qui sont pendants dans la zone euro et qui restent entiers. Le problème majeur, à terme, c’est celui de la divergence des économies de la zone euro et de la division qui commence, je pense, à être bien comprise par les observateurs, entre l’Europe du Nord et l’Europe du Sud. L’Europe du Nord qui a un excédent de balance commerciale et une situation budgétaire acceptable et l’Europe du Sud en complet déséquilibre en termes de capacité de production. Et, de ce point de vue, la Grèce est un exemple extrême et donc, quel est le volet manquant sur le problème grec ? Quel est le volet manquant au niveau de la zone euro ? Sur le volet grec, clairement, ce n’est pas uniquement par l’imposition de mesures d’austérité que l’on rétablira leur commerce extérieur, leur balance commerciale. Ils n’ont plus de base productive, ou quasiment plus à part le tourisme.

 

O.B. : Tourisme qui est pénalisé par l’Euro fort…

J.P. : Le tourisme ne se porte pas mal d’après les derniers chiffres mais ils ont très clairement besoin d’une aide à l’investissement pour re-fabriquer progressivement une base productive. Ils ont certainement besoin d’investir d’ailleurs dans le tourisme qui est une de leurs ressources évidentes et d’investir dans un certain nombre d’industries dans lesquelles ils pourraient prendre une position exportatrice. Ce volet-là est complètement absent, et donc pour répondre à votre question initiale, tant que ce volet n’est pas rajouté au dispositif, la Grèce ne peut pas être sauvée. Je pourrais faire à peu près le même développement sur le Portugal, même si les choses sont moins dramatiques, car il a les mêmes problèmes structurels.

Deuxièmement, on voit bien que ce qui manque au niveau de la zone euro, c’est la capacité d’investissement transfrontière si je puis dire. C’est une aide donnée par l’ensemble de la zone euro à celles des régions qui en ont le plus besoin.

O.B. : C’est-à-dire du fédéralisme budgétaire…

J.P. : On va y venir, mais pour l’instant j’en suis juste à l’aide à l’investissement, de la même manière que la Banque Mondiale aide les pays les plus pauvres.

O.B. : Oui, il existe une solidarité…

J.P. : Une solidarité au moins dans l’optique du « je vous aide à vous développer », ce qui ne veut pas encore dire solidarité budgétaire. Cette première partie, qui est minimale, est totalement absente dans la zone euro.

Quand je dis que les problèmes de la zone euro ne sont toujours pas réglés, c’est qu’il y a, si je puis dire, une « absurdité congénitale » à la notion de monnaie unique avec une absence totale de solidarité vis-à-vis de la dette publique, ce qui oblige les états à converger complètement en termes de modèle économique, car cela signifie que plus aucun état ne peut supporter un déficit, que plus aucun état ne peut supporter une dette supérieure à celle des autres sans être immédiatement sanctionné par les marchés, qui ont maintenant compris que dès qu’un pays va déraper, ils vont pouvoir sanctionner. Il y a dix ans, les taux d’intérêt étaient absolument identiques. Mais on leur a dit « Non, non, vous vous êtes trompés », eh bien, ils ont compris et maintenant dès qu’un état va diverger un tout petit peu « Boum », on sanctionne. On oblige donc les États à converger complètement alors qu’il n’y a aucun mécanisme de compensation économique, de solidarité économique ou de développement commun alors que dans une zone aussi diverse que la zone euro, il est clair qu’il y a des États différents qui sont dans des états économiques différents et donc, que les obliger à converger parfaitement en termes de modèle économique, c’est nécessairement  les réduire au plus petit commun dénominateur, c’est-à-dire perdre de la croissance et l’intérêt de la zone euro où les parties les plus dynamiques tirent l’ensemble et effectuent un certain transfert. C’est comme si l’on disait que le taux de croissance des États-Unis est le même que le taux de croissance de l’Arizona.  Je ne pense pas que le déroulement de la crise ait favorisé la notion ou l’émergence d’un sentiment de solidarité européenne

O.B. : C’est le moins que l’on puisse dire…

J.P. : Effectivement.

O.B. : C’est quand même inquiétant quand on voit les réactions en Grèce et en Allemagne à ce niveau-là. Va-t-on pouvoir avancer ? En tout cas, qui dit monnaie unique dit mécanisme minimal de transfert pour ajuster en cas de choc asymétrique dans la zone monétaire ; alors évidemment il faut une solidarité en théorie, mais en pratique…

J.P. : Le seul espoir, et de ce point de vue la France est coupable, c’est d’espérer que l’organe crée la fonction, autrement dit si nous arrivions à avoir, institutionnellement, l’esquisse d’un gouvernement économique, donc  l’esquisse d’un Ministre des Finances européen…

O.B. : et d’un budget …

J.P. : Oui, mais là je suis en amont du budget, je suis sur la conception, la discussion, sur les Allemands qui devraient faire un peu plus de relance…

O.B. : et de coordination économique….

J.P. : et de coordination économique. Si vous aviez une institution centrale, c’est-à-dire nécessairement au niveau de la Commission Européenne, je pense que le travail de dissuasion, de discussion pourrait permettre d’avancer. Tant que l’on reste dans  l’intergouvernemental, on l’a bien vu…

O.B. : Mais est-ce-que les peuples y sont prêts ?

J.P. : Je crois que les peuples y sont prêts, je crois que l’Allemagne y est prête mais comme ce sont eux qui tiennent la baguette en Europe en ce moment, je crois que c’est une faute de la France de ne pas se précipiter vers cette évolution. Cela avait été esquissé à un certain moment au niveau du FMI. Au niveau mondial, dès lors qu’il y a un déficit des balances des paiements, dans un sens ou dans l’autre, d’un pays quel qu’il soit, on en discute. Je trouve que c’est une discipline que l’on pourrait tout à fait appliquer aux échanges intra-européens.

O.B. : On a l’impression d’être dans une idée de relation commerciale, et c’est très important mais on essaye de sanctuariser l’excédent commercial comme si c’était un but alors que c’est évidemment la contrepartie de l’existence de déficits. Lorsque Keynes lançait ses idées de Bancor, c’était aussi pour pénaliser les pays qui étaient en excédent. L’Allemagne ne devrait pas avoir cet excédent…

J.P. : Bien entendu, mais vous voyez bien que les Français mettent l’accent sur un faux problème puisqu’il y a une large partie des observateurs français, ou des hommes politiques, qui disent que l’euro a été surévalué ; ce qui n’est pas vrai quand on regarde l’ensemble de la zone euro. Elle est à peu près en équilibre extérieur, donc ce n’est pas un problème de surévaluation globale de l’euro. La vraie question, c’est à nouveau la distorsion formidable à l’intérieur de la zone euro entre des pays excédentaires et des pays très fortement déficitaires. Cela devrait se discuter, dans les deux sens, on va essayer de réduire les déséquilibres. Donc, Allemagne, Finlande, Autriche, quelles mesures prenez-vous pour réduire votre excédent. Pour les autres, quelles mesures prenez-vous pour augmenter votre compétitivité ? Donc, je pense qu’une modération salariale en France, qui est probablement nécessaire,  serait acceptée si, par ailleurs, il y avait 2 ou 3 ans de reprise salariale en Allemagne. Donc il n’existe ni le lieu, ni l’institution, ni la personne autour desquels ce type de débat pourrait s’engager. Ce n’est pas au niveau intergouvernemental que cela se fera car chaque pays défendra son intérêt propre. Donc, pour résumer, « on n’est pas sorti de l’auberge »…

O.B. : Ça c’est sûr ! Quelle est votre vision du devenir de la crise des dettes publiques car on a bien vu que l’Europe va prêter beaucoup d’argent à la Grèce pour rembourser ses créanciers privés mais, au final, on remplace les créanciers privés, qui sont extrêmement frileux pour prêter à la Grèce, par des créances publiques européennes. Donc, il est peut-être plus simple de restructurer de la dette publique. Malgré tout, on voit aussi que cela est susceptible de susciter des tensions assez fortes en Europe, si dans un an la Grèce n’arrive pas à rembourser. On voit bien que son économie est en train de se désintégrer : elle est en phase dépressive majeure depuis un ou deux trimestres. Ceci n’est-il pas de nature à susciter des tensions très fortes en Europe ; et on ne bâtira pas une coopération majeure en disant aux Allemands qu’on ne leur remboursera que70 ou 50 % de ce qu’ils ont prêté. Et du coup ces pays ne s’attendent pas à des impacts budgétaires, puisqu’on ne leur a pas dit qu’il s’agissait en fait de dons (empruntés sur les marchés obligataires) et non pas de prêts…  

J.P. : Mais, attendez. Premièrement, il y a quelque chose que tout le monde oublie de dire, c’est que le problème de la dette publique, de la dette souveraine en Europe, est un problème domestique. Vous avez en gros entre 75 et 95% de la dette souveraine européenne qui est portée par des résidents de la zone euro.

O.B. : C’est à peu près cela, oui…

J.P. : Personne ne fait cette remarque, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l’on a un problème domestique. Autrement dit, on est incapables de régler, entre Européens, un problème qui est d’abord un problème de déséquilibre interne. Cela nous ramène toujours au même problème. Ce problème, il va bien falloir qu’on l’aborde un jour de face. Pourquoi ? Parce qu’on a inventé un mécanisme fantastique dont aucun État ne peut plus sortir contrairement à ce que pensent un certain nombre d’Allemands, y compris au niveau ministériel. La Grèce ne peut pas sortir de la zone euro, sauf catastrophe absolue, bien pire que ce qui se passe aujourd’hui en Grèce. De plus, il ne faut pas croire que cette catastrophe absolue n’aurait pas d’effets sur le reste de la zone euro. De plus, une large partie de la dette souveraine grecque reste portée (je ne sais pas si c’est dans vos chiffres ou pas) par le système bancaire grec.

O.B. : Oui,  ce serait donc 45 Mds d’€ qui resteraient dus à terme…

J.P. : Aujourd’hui c’est 80 Mds….

O.B. : Oui mais 80 abattus de 53,50%. Donc, on recapitalise les banques.

J.P. : Oui, vous voyez bien que si la Grèce sort de la zone euro, et s’il y a un vrai défaut sur la Grèce, ce qui va ensemble, il faut que le gouvernement grec, en même temps qu’il prononcera le défaut sur sa dette, nationalise son système bancaire et le recapitalise, parce qu’il sera exsangue. Où va-t-il trouver l’argent pour faire cela ? La BCE dans cette hypothèse va elle aussi probablement avoir une perte relativement importante  au passage,  parce que j’imagine, et c’est un aspect un peu obscur des choses aujourd’hui, j’imagine donc que dans tous les pays ayant un déficit structurel de sa balance extérieure, il existe un financement de la Banque Centrale locale par la BCE.

O.B. : Forcément, il y a des transferts…

J.P. : Le jour où il y aura un vrai défaut, la BCE aura beau dire, ça c’est du collatéral, elle sera prise dans le défaut. D’autre part, indépendamment des dettes publiques, je pense qu’il y a aussi ce que vous appelez le secteur privé international de la même manière.

O. B. : Les banques, les assureurs…

J. P. : Là aussi, il faudrait voir ce qui est porté par la zone euro. Et je pense que l’essentiel est porté par la zone euro.

O. B. : Probablement…

J. P. : Je ne pense pas qu’il y ait encore beaucoup de résidents hors zone euro qui portent encore aujourd’hui de la dette grecque.

O.B. : Il y a quelques hedge funds qui en ont racheté de la dette aux banques de la zone euro…

J.P. : Il ne faut pas croire que le défaut grec n’a pas de conséquences extrêmement fortes, indépendamment de l’image politique que peut donner un désastre grec, cette fois absolu. Nous sommes dans un système dont on ne peut pas sortir. Si aucun pays ne peut plus sortir, l’idée  même de solidarité devrait naturellement s’imposer, et donc s’exercer au mieux. Et l’on revient au point de départ, ce qui manque aujourd’hui, ce sont des transferts sur la Grèce visant à compenser provisoirement, pendant la période intérimaire, le défaut de compétitivité, pour arriver à rétablir peu à peu une base de compétitivité en Grèce.

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