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Front de gauche de Lizy et du Pays de l'Ourq 77
3 janvier 2014

Et Hollande n'est pas Mitterrand

Plutôt critique vis-à-vis du président américain, l’économiste keynésien James Kenneth Galbraith recommande dans cette interview par L’Expansion une relance budgétaire et une importante augmentation du salaire minimal. Pour James K. Galbraith, la relance budgétaire doit répondre aux défis majeurs de la sécurité énergétique et du changement climatique.

james galbraith

© Jérôme Chatin
Il y a des hommes que l’héritage paternel n’étouffe pas. Au contraire, il les pousse à creuser encore et toujours plus profondément le sillon familial. C’est le cas de James K. Galbraith, fils de John Kenneth Galbraith, le célèbre économiste américain recruté en 1934 par Roosevelt pour mettre en place le New Deal, puis conseiller des présidents Kennedy et Johnson. En 1967, dans Le Nouvel Etat industriel, Galbraith père faisait l’éloge du capitalisme réglementé de l’après-guerre. Aujourd’hui, son fils, professeur à l’université du Texas et chroniqueur régulier du Washington Monthly, dénonce sans relâche un Etat prédateur dont les mécanismes d’intervention ont été détournés de leur mission pour servir des intérêts privés. Il presse surtout l’Amérique post-Lehman Brothers à refermer pour de bon l’ère néolibérale ouverte sous Ronald Reagan. Ce démocrate keynésien pur jus, qui est loin d’être tendre avec l’administration Obama, réclame une intensification de la relance budgétaire et une hausse substantielle du salaire minimal. Rencontre avec l’un des économistes américains les plus hétérodoxes du moment.

A quelques mois de l’élection présidentielle, l’Amérique semble échapper à la récession, à la différence de l’Europe, qui s’y enfonce. Mieux, une reprise paraît engagée. Alors, simple feu de paille ou véritable résilience de l’économie américaine?
C’est vrai, l’Amérique a renoué avec la croissance, et le spectre d’une nouvelle récession s’est éloigné. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment cru les économistes qui redoutaient un double dip – une rechute -, car les secteurs les plus volatils de l’économie, en particulier celui de la construction, étaient tombés tellement bas qu’une nouvelle contraction paraissait peu probable. Sur le papier, donc, l’Amérique va mieux. Au dernier trimestre 2011, la croissance s’est hissée à 2,8 %, le rythme annualisé le plus soutenu depuis le printemps 2010. Les dépenses des ménages ont progressé de 2 %, l’investissement des entreprises en équipements et logiciels a bondi de 5,2 %, et l’industrie manufacturière recommence à tourner. Conséquence : l’emploi se dégèle enfin. Le taux de chômage est tombé à 8,3 % début 2012, son plus bas niveau depuis février 2009. Les Etats-Unis sont donc partis pour retrouver un sentier de croissance compris entre 2 et 3 % l’an – une belle performance, vue d’Europe ! La réalité du quotidien des Américains est cependant fort éloignée de ces froides statistiques.

La classe moyenne reste très fragile et endettée, et elle constate avec effarement que son épargne-retraite a pratiquement diminué de moitié. Certes, l’emploi se redresse, mais les pressions sur les salaires demeurent très fortes. De fait, le moteur de la consommation est toujours poussif. Le panier de dépense moyen des ménages américains dans les grandes surfaces ne cesse de diminuer, les travailleurs pauvres sont toujours plus nombreux et ne doivent leur survie qu’aux bons alimentaires distribués par l’Etat. Les Etats-Unis ne sont pas près de retrouver la dynamique de croissance qu’ils ont connue pendant une bonne partie des années 2000, car un élément essentiel – l’effet de levier – a disparu. Il a permis aux ménages, pendant la décennie passée – et notamment entre 2000 et 2006 -, de s’endetter au-delà du raisonnable et d’extraire du cash en comptant sur les plus-values latentes de leurs biens immobiliers. Cette martingale est bloquée pour longtemps, car je ne crois pas à la formation d’une nouvelle bulle d’emprunts bancaires. A moins d’un changement radical de politique économique, l’économie américaine va durablement tourner au ralenti.

Vous dressez un bilan assez critique de la présidence Obama. C’est pourtant en partie grâce à la vaste relance budgétaire votée par les démocrates que le pays est sorti de la récession…
Mais de quelle relance budgétaire parlez-vous ? Barack Obama a été élu en 2008 avec un soutien populaire important, mais il s’est heurté rapidement aux résistances des institutions gouvernementales. Il avait le choix entre un changement du système en profondeur ou des “réformettes” cosmétiques. Il a choisi les secondes. C’est un homme prudent et finalement conservateur, qui n’a pas les instincts de réformateur d’un Kennedy ou d’un Roosevelt. Regardez les efforts déployés par ce dernier pour sortir le pays de la Grande Dépression : 60 % des chômeurs ont été employés dans de grands travaux d’Etat (2 500 hôpitaux, 45 000 écoles, 7 800 ponts, plus de 1 million de kilomètres de réseau routier et un millier d’aéroports ont été construits et rénovés). Le système scolaire des zones rurales a été entièrement refondé, tandis que l’Etat a embauché quelque 3 000 écrivains, musiciens ou peintres, comme Jackson Pollock et Willem De Kooning. Roosevelt a donné du travail aux Américains sur une vaste échelle, ramenant le taux de chômage de 25 % en 1933 à moins de 10 % en 1936. En 1937, lorsqu’il a tenté d’équilibrer le budget, l’économie a de nouveau rechuté, et en 1938 le New Deal a été relancé, bâtissant les fondations (notamment les centrales électriques) qui rendront possible la mobilisation économique et financière de la Seconde Guerre mondiale. Que devrions-nous faire aujourd’hui ? La relance budgétaire que j’appelle de mes voeux doit répondre à deux défis majeurs auxquels nous sommes confrontés : la sécurité énergétique et le changement climatique. Nous devons changer radicalement la structure de notre économie, fondée sur l’utilisation à outrance d’énergies fossiles et sur l’émission sans limite de gaz à effet de serre. C’est un chantier pharaonique, mais s’il est convenablement mené, en s’appuyant notamment sur une véritable planification, nous pouvons ajouter chaque année entre 5 et 10 % de PIB à l’investissement public. Ce qui permettra in fine de ramener la nation vers le plein-emploi.

Le président Obama a tout de même réussi à faire passer deux réformes majeures, celle de la santé et celle du système bancaire…

Dans les deux cas, ce sont des réformes inabouties. Concernant la réforme du système de santé, il s’agit davantage d’un rafistolage bancal du système existant que d’un changement radical de paradigme. Certes, c’est une avancée sociale majeure pour les 32 millions d’Américains qui ne bénéficiaient d’aucune couverture maladie. Reste que la majorité des ménages ne devraient pas être affectés par cette nouvelle loi : ils continueront de payer une assurance-maladie privée fournie par leur employeur, dont le coût est devenu prohibitif pour nombre d’entre eux. Une avancée historique aurait été de créer un système d’assurance national, à l’instar de celui des Canadiens ou de votre “Sécu” française. Mais ce projet a été abandonné dès le départ sous la pression des lobbys. L’administration Obama a donc signé un pacte avec le diable, en l’occurrence les compagnies d’assurances privées.

Concernant la réforme bancaire, là aussi, nous aurions pu aller beaucoup plus loin. Certes, la loi Dodd-Frank va étendre le contrôle des régulateurs sur des pans entiers de la finance, limiter un peu la spéculation et la titrisation. Pour autant, l’administration Obama, toujours sous l’influence des lobbys, n’a pas voulu poursuivre pénalement les banquiers pour fraude financière. Et pourtant ! Toutes les opérations consistant à vendre des crédits hypothécaires à des ménages que les banquiers savaient pertinemment insolvables relèvent bien de la fraude, voire du crime. Après la crise des caisses d’épargne (savings and loans), au début des années 90 sous l’administration Bush, près d’un millier de banquiers ont été poursuivis et envoyés en prison. Dans les années 30, Roosevelt a chargé la commission Pecora de traduire en justice les financiers à l’origine de la Grande Dépression. Nous sommes bien loin de tout ça. L’intégrité du système financier est durablement mise en cause, et ceux qui ont précipité les Etats-Unis dans la crise et poussé des millions de ménages au surendettement n’ont pas été punis !

La réindustrialisation de l’Amérique et la relocalisation des activités sont les nouveaux slogans de campagne du président candidat Obama. Alors que vous avez beaucoup critiqué le libre-échange, que pensez-vous de la mode du made in USA ?
Je l’ai dit et écrit : David Ricardo, le père de la théorie des avantages comparatifs, s’est trompé. La voie royale pour sortir du sous-développement est la diversification, non la spécialisation, et une diversification efficace exige un usage stratégique de la politique commerciale. On ne peut atteindre cet objectif en se barricadant contre le monde extérieur, mais il n’est pas facile non plus d’y arriver dans le cadre d’un attachement dogmatique au libre-échange.

De fait, tous les pays du monde qui ont vraiment réussi dans le commerce international, comme le Japon hier, la Corée du Sud, Taïwan ou la Chine aujourd’hui, sont parvenus à leur statut actuel en dérogeant aux règles commerciales néolibérales. Pour autant, les promesses de réindustrialisation et de promotion du made in USA, très à la mode aujourd’hui, relèvent de la fantaisie, du romantisme politique, et renvoient à l’ère dorée de l’après-guerre, quand l’industrie américaine dominait la planète. On ne retournera pas à cet âge-là. Demain, les secteurs qui créeront de la richesse seront les réseaux, l’éducation, la santé, la recherche, les hautes technologies, les énergies renouvelables, pas l’industrie manufacturière. Ce n’est pas avec des idées du xixe siècle que nous allons bâtir l’Amérique du xxie siècle.

Votre père, John Kenneth Galbraith, était conseiller économique des présidents Kennedy et Johnson. Quelles mesures phares de politique économique recommanderiez-vous aujourd’hui à Barack Obama ?
J’en vois déjà deux, relativement simples à mettre en place. La première est l’augmentation du salaire minimal. Une partie des réductions d’impôts accordées aux ménages au plus fort de la crise vont bientôt prendre fin, ce qui va peser mécaniquement sur le pouvoir d’achat et sur la consommation. Pour soutenir efficacement la demande, il suffit d’augmenter de façon substantielle le salaire minimal : de 7,25 dollars l’heure aujourd’hui à près de 12 dollars. J’entends déjà les cris d’horreur des libéraux m’accusant de vouloir casser la compétitivité des entreprises américaines. Faux ! Cette hausse ne pénaliserait ni l’industrie manufacturière, ni les services marchands, comme l’assurance ou la banque, car dans ces secteurs les salariés sont déjà rémunérés bien au-delà de 12 dollars l’heure. En revanche, ceux qui travaillent dans la grande distribution ou dans les services à la personne, et qui occupent souvent des emplois précaires et mal payés, en bénéficieraient directement. Or ce sont des secteurs qui ne sont pas délocalisables.

La seconde mesure concerne les ménages surendettés obligés de céder leurs maisons aux banquiers “fraudeurs”. Ils devraient avoir la possibilité de rester dans leurs logements, moyennant le versement d’un loyer à la banque. Celle-ci leur offrirait la possibilité, au bout d’un certain nombre d’années, de racheter leurs biens. Cette mesure aiderait à la préservation des logements, car beaucoup de maisons saisies sont aujourd’hui laissées totalement à l’abandon. D’une certaine façon, cette mesure satisferait également les banques, qui n’ont aucune envie de devenir propriétaires d’un parc de logements invendables. Voilà deux mesures simples et efficaces que pourrait prendre le président Obama. Mais j’ai bien peur que les démocrates n’aient perdu la foi dans la capacité du pouvoir politique à changer le système.

Quel regard portez-vous sur la crise européenne et sur la course à la rigueur dans laquelle se sont lancés la plupart des pays européens ?

Comme aux Etats-Unis, la crise européenne a une origine bancaire, qui a ensuite pris la forme d’une série de crises des dettes souveraines. Mais, contrairement aux Etats-Unis, la situation a été aggravée par des idées économiques réactionnaires et contre-productives – la rigueur à tout prix -, par une architecture défaillante – l’absence de mécanismes de transfert entre Etats – et par une politique toxique – l’aveuglement et l’obstination de l’Allemagne.

Les institutions européennes ont été créées il y a trente ans, lors du triomphe de l’idéologie néolibérale. On a cru à l’époque que l’Union permettrait une convergence économique entre les pays membres. Cette idée s’est révélée fausse. On a observé au contraire une concentration des forces économiques au coeur de l’Union, c’est-à-dire en Allemagne, en France et aux Pays-Bas, au désavantage de la périphérie. Pour compenser cette divergence et corriger les inégalités régionales, il aurait fallu mettre en place des mécanismes de redistribution entre nations, comme le fait l’Etat fédéral américain. L’architecture des fonds structurels européens est bien trop faible pour jouer ce rôle. Par la suite, au moment où la crise est survenue, la BCE s’est refusée à acheter les obligations publiques des Etats les plus fragilisés au nom du principe stupide selon lequel aider ces pays reviendrait à les encourager à s’endetter. Enfin, sous l’aiguillon de l’Allemagne et du FMI, tous les dirigeants européens, sans aucune distance, se sont lancés dans une course à la rigueur budgétaire suicidaire et sans fin. Regardez dans quelle situation se trouve le peuple grec, qui n’a d’autre choix que la révolte ou la mort lente ! Or quitter la zone euro n’est une porte de sortie viable pour aucun des membres de l’Union, l’Allemagne exceptée, peut-être. A moins d’un changement radical de politique économique en Europe du Nord, que ni les socialistes français ni les sociaux-démocrates allemands ne semblent pour le moment à même de porter, j’ai bien peur que l’Europe ne s’achemine vers une explosion sociale, avec pour conséquence une nouvelle émigration européenne.

Source : L’expansion

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