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Front de gauche de Lizy et du Pays de l'Ourq 77
29 décembre 2011

mondialisation 2

On oublie souvent que nous vivons la deuxième mondialisation. La première, comme le rappelle fort opportunément Jean-Michel Quatrepoint dans son livre Mourir pour le Yuan, est survenue entre 1870 et 1914.

En 1919, J.M. Keynes nous en brosse un portrait dans son livre Les conséquences économiques de la paix qui semble brûlant d’actualité (À lire ici)…

Avant 1870, certaines parties de l’Europe s’étaient spécialisées dans une production propre, mais, pris dans son ensemble, ce petit continent se suffisait réellement à lui-même. La population était adaptée à cet état de choses.

Après 1870, une situation sans précédent se développa sur une grande échelle et, durant les cinquante années qui suivirent, l’Europe eut une condi-tion économique instable et singulière. La demande de nourriture, satisfaite déjà par la facilité des importations américaines, fut, pour la première fois, de mémoire d’homme, définitivement comblée. A mesure qu’augmentait la population, les approvisionnements étaient en réalité plus aisés. Dans l’agri-culture comme dans l’industrie, une échelle croissante de production donnait de plus grands profits proportionnels. En même temps qu’augmentait la population de l’Europe, le nombre des émigrants qui allaient labourer le sol des pays neufs s’accroissait d’une part, et, d’autre part, des ouvriers plus nombreux étaient utilisables en Europe. Ils avaient à fabriquer les produits industriels et les marchandises principales qui devaient faire vivre la popula¬tion émigrante dans ses nouveaux établissements, et à construire les voies ferrées et les navires qui rendraient accessibles à l’Europe les aliments et les matières premières d’origine lointaine. jusqu’à 1900 environ, une unité de travail industriel produisait d’année en année un pouvoir d’achat qui s’appli¬quait à des quantités croissantes de nourriture. Il est possible qu’aux alentours de 1900 cette progression ait commencé d’être annulée et que le produit accor¬dé par la nature à l’effort humain se soit à nouveau affirmé comme décrois¬sant. Mais la tendance à l’augmentation du prix réel des céréales, a été com¬pensée par certaines améliorations. A cette époque et pour la première fois, les ressources de l’Afrique tropicale, – une innovation parmi beaucoup d’au¬tres, – furent largement utilisées. Un vaste commerce de graines oléagi¬neuses commença à apporter sur la table de l’Europe, sous une forme nouvelle et peu coûteuse, un des éléments nutritifs essentiels de l’humanité. C’est dans cet Eldorado, dans cette République d’Utopie, pour parler comme les premiers économistes, que la plupart d’entre nous furent élevés.

Cet âge heureux perdit de vue une doctrine qui remplissait d’une profonde mélancolie les fondateurs de l’Économie politique. Avant le XVIIIe siècle, l’humanité n’entretenait point de vaines espérances. Pour faire tomber les illusions qui se répandaient à la fin de celte époque, Malthus mit un diable en liberté. Pendant un demi-siècle, toutes les œuvres économiques sérieuses plaçaient ce diable en pleine lumière. Pendant les cinquante ans qui suivirent, il fut enchaîné et éloigné des regards. Il semble qu’à présent nous l’ayons délivré de nouveau.

Quel extraordinaire épisode du progrès économique de l’homme, cette époque qui prit fin en août 1914! La plus grande part de la population tra-vaillait dur, il est vrai, et ne jouissait que de satisfactions restreintes. Elle semblait cependant, selon toute apparence, se contenter raisonnablement de son sort. Tout homme dont le talent ou le caractère dépassait la normale, pouvait s’échapper vers les classes moyennes et supérieures, auxquelles la vie offrait à peu de frais et sans difficulté, des commodités, des aises et des douceurs, qui étaient hors de l’atteinte des plus riches et des plus puissants monarques des autres temps. Un habitant de Londres pouvait, en dégustant son thé du matin. commander, par téléphone, les produits variés de toute la terre en telle quantité qui lui convenait, et s’attendre à les voir bientôt déposés à sa porte ; il pouvait, au même instant, et par les mêmes moyens, risquer son bien dans les ressources naturelles et les nouvelles entreprises de n’importe quelle partie du monde et prendre part, sans effort ni souci, à leur succès et à leurs avantages espérés ; il pouvait décider d’unir la sécurité de sa fortune à la bonne foi des habitants d’une forte cité, d’un continent quelconque, que lui recommandait sa fantaisie ou ses renseignements. Il pouvait, sur le champ, s’il le voulait, s’assurer des moyens confortables et bon marché d’aller dans un pays ou une région quelconque, sans passeport ni aucune autre formalité ; il pouvait envoyer son domestique à la banque voisine s’approvisionner d’autant de métal précieux qu’il lui conviendrait. Il pouvait alors partir dans les contrées étrangères, sans rien connaître de leur religion, de leur langue ou de leurs mœurs, portant sur lui de la richesse monnayée. Il se serait considéré comme grandement offensé et aurait été fort surpris du moindre obstacle. Mais, par-dessus tout, il estimait cet état de chose comme normal, fixe et permanent, bien que pouvant être amélioré ultérieurement. Il regardait toute infraction qui y était faite comme folle, scandaleuse et susceptible d’être évitée. Les visées et la politique du militarisme et de l’impérialisme, les rivalités de races et de cultures, les monopoles, les restrictions, les exclusions allaient jouer le rôle du serpent dans ce paradis. Mais tout cela ne comptait pas beaucoup plus que les plaisanteries du journal quotidien, et semblait n’exercer presque aucune influence sur le cours de la vie sociale et économique, dont l’internationa-lisation était pratiquement sur le point d’être complète.

J.M. Keynes, Les conséquences économiques de la paix, 1919

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