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Front de gauche de Lizy et du Pays de l'Ourq 77
1 avril 2012

Une économie pour qui ?

Voici une excellente analyse de Robert Reich, ancien ministre du travail de Bill Clinton. Billet de son blog du 30 janvier 2012. Merci à Valérie et à Contreinfo pour la traduction intégrale.

« La crise du capitalisme américain signe le triomphe des consommateurs et des investisseurs sur les travailleurs et les citoyens. Et puisque la plupart d’entre nous occupent ces quatre rôles – même si les plus riches prennent la part du lion dans la consommation et l’investissement – le cœur de cette crise réside dans la possibilité croissante pour chacun d’entre nous, en tant que consommateur ou investisseur, de faire de bonnes affaires, et dans notre capacité déclinante à être entendu en tant que travailleur et citoyen. »

chinameriqueLe secrétaire au Trésor, Tim Geithner, s’exprimant lors du Forum économique mondial de Davos il y a quelques jours, a déclaré que les «risques critiques» qui pèsent sur l’économie américaine cette année étaient dus à une aggravation de la crise chronique de la dette souveraine de l’Europe et d’une montée des tensions avec l’Iran qui pourraient faire flamber le prix mondial du pétrole.

Qu’en est-il des emplois et des salaires ici chez nous?

Comme le département du Commerce l’a rapporté vendredi, l’économie américaine a crû de 2,8 pour cent entre octobre et décembre – rythme de croissance le plus élevé en 18 mois – et la croissance a, pour la première fois, dépassé les 2 pour cent pour toute l’année. De nombreuses entreprises américaines, parmi les plus grandes, ont réalisé d’importants bénéfices au cours des derniers mois. GE et Lockheed Martin ont terminé l’année avec des carnets de commandes record.

Pourtant, le pourcentage des Américains en âge de travailler et occupant un emploi n’est pas très différent de ce qu’il était il y a trois ans. Oui, l’Amérique produit désormais plus que lorsque la récession a commencé. Mais elle le fait avec 6 millions de travailleurs de moins.

Le revenu moyen après impôt, corrigé de l’inflation, change un peu. (Il a augmenté à un taux annuel de 0,8 pour cent dans les trois derniers mois de 2011 après une chute de 1,9 pour cent les trois mois précédents. Pour l’ensemble de 2011, les revenus ont baissé de 0,1 pour cent.)

Mais méfiez-vous des moyennes. Shaquille O’Neal et moi mesurons tous deux 1,83m. Ne confondons pas Mitt Romney, 20 millions de dollars l’an dernier, et tout le petit monde en sécurité dans le top 1 pour cent – et les revenus de la plupart des Américains qui continuent à baisser.

Les dépenses de consommation ont légèrement progressé au quatrième trimestre en raison principalement du fait que les consommateurs ont pioché dans leurs économies. Évidemment, cela ne peut pas durer.

Parallèlement, le gouvernement dépense moins pour les écoles, les routes, les ponts, les parcs, la défense et les services sociaux. Les dépenses du gouvernement dans tous les domaines ont chuté à un taux annuel de 4,6 pour cent au dernier trimestre – et cela va sans doute continuer.

Certains économistes prévoient que cette baisse sera un frein pour l’économie. Mais cela signifie aussi moins de biens publics disponibles pour tous les Américains, indépendamment des revenus.

Le Congrès n’a pas encore décidé de renouveler ou non la baisse temporaire des impôts sur le revenu et d’étendre ou non les prestations de chômage passé février. Si ce n’est pas le cas, attendez-vous une autre tranche de 1 pour cent de baisse du PIB cette année.

Tim Geithner est certainement dans le vrai en disant que la crise de la dette européenne et l’Iran présentent des risques pour l’économie américaine en 2012. Mais ils ne sont pas le plus grand risque. Le plus grand risque est ici chez nous – c’est que la plupart des Américains continuent à dépérir.

Tout cela soulève une question fondamentale : Une économie pour qui et pour quoi faire ?

Certainement pas uniquement au bénéfice de quelques-uns au situés sommet, ni des grandes entreprises et de leurs PDG. Les succès de l’économie ne peuvent non plus être mesurés par le rythme de croissance du PIB, ou le niveau atteint par l’indice Dow Jones, ou par l’élévation du revenu moyen.

La crise du capitalisme américain signe le triomphe des consommateurs et des investisseurs sur les travailleurs et les citoyens. Et puisque la plupart d’entre nous occupent ces quatre rôles – même si les plus riches prennent la part du lion dans la consommation et l’investissement – le cœur de cette crise réside dans la possibilité croissante pour chacun d’entre nous, en tant que consommateur ou investisseur, de faire de bonnes affaires, et dans notre capacité déclinante à être entendu en tant que travailleur et citoyen.

Les technologies modernes nous permettent d’acheter en ligne en temps réel, souvent dans le monde entier, aux plus bas prix, la plus haute qualité, d’obtenir les meilleurs rendements. Grâce à Internet, nous pouvons maintenant disposer instantanément d’informations pertinentes, comparer les offres, et transférer notre argent à la vitesse des électrons. Nous pouvons acheter sur Internet des produits qui seront livrés directement chez nous. Jamais auparavant dans l’histoire les consommateurs et les investisseurs n’auront été aussi puissants.

Pourtant, ces affaires se réalisent de plus en plus au détriment de nos salaires et de nos emplois, comme de ceux de nos compatriotes, et se traduisent par un creusement des inégalités. Les marchandises que nous voulons ou les rendements que nous recherchons peuvent souvent être obtenus de manière plus efficace ailleurs dans le monde par des entreprises offrant un salaire inférieur, moins d’avantages sociaux et des conditions de travail moins bonnes.

Cela se produit également aussi au détriment de nos entreprises locales – qui sont le cœur de nos communautés – lorsque nous faisons de bonnes affaires grâce à Internet ou à des chaines d’hypermarchés qui sillonnent le monde à la recherche des prix bas.

Certains achats ont des conséquences dévastatrices sur l’environnement. La technologie nous permet d’acquérir sans difficulté des produits bon marché en provenance de pays pauvres, appliquant peu de normes environnementales, et qui sont parfois fabriqués dans des usines qui déversent des produits toxiques dans les rivières ou relâchent leurs polluants dans l’atmosphère. Nous considérons faire une bonne affaire en achetant des voitures qui crachent du carbone dans l’air et des billets de voyage en avion qui font encore bien pire.

D’autres bonnes affaires sont une offense à la morale commune. Nous pouvons obtenir de bons prix ou un rendement élevé, parce qu’un industriel aura réduit les coûts en embauchant en Asie du Sud ou en Afrique des enfants qui travaillent douze heures par jour, sept jours par semaine. Ou en obligeant les gens à endurer des conditions de travail impliquant des risques mortels.

En tant que travailleurs ou en tant que citoyens, la plupart d’entre nous n’auraient pas volontairement effectué ces choix, mais, par notre recherche de bonnes affaires, nous en sommes indirectement responsables. Les entreprises savent que si elles ne parviennent pas à nous proposer les meilleures offres, nous dépenserons notre argent ailleurs – ce que nous pouvons faire toujours plus vite et plus efficacement.

Le meilleur moyen pour concilier les exigences, entre d’une part consommateurs et investisseurs et d’autre part travailleurs et citoyens, est fourni par les institutions démocratiques qui façonnent et contraignent les marchés.

Lois et règlements offrent une certaine protection pour les emplois et les salaires, les communautés locales, et l’environnement. Bien que ces règles soient susceptibles d’être coûteuses pour nous en tant que consommateurs ou investisseurs parce qu’elles écartent les offres les plus attrayantes, elles ont pour justification de nous permettre de définir ce que nous, en tant que membres d’une société, sommes prêts à sacrifier pour ces autres valeurs.

Mais les technologies permettant de faire de bonnes affaires dépassent les capacités des institutions démocratiques à les contrebalancer. D’une part parce que les règles nationales destinées à protéger les travailleurs, les communautés et l’environnement s’étendent habituellement uniquement jusqu’aux frontières d’une nation. Ces mêmes technologies qui permettent aux acheteurs et investisseurs d’ignorer les frontières avec une facilité croissante, rendent dans le même temps plus difficile pour les nations de surveiller ou de réglementer ces transactions.

D’autre part, les objectifs autres que la rentabilité sont moins facilement réalisables dans les limites d’une seule nation. L’exemple le plus évident est celui de l’environnement, dont la fragilité concerne le monde dans son entier. En outre, les entreprises menacent désormais systématiquement de délocaliser les emplois et les usines loin des États qui leur imposent des coûts plus élevés – et donc, indirectement, sur leurs consommateurs et investisseurs – et en direction des législations les plus « favorables aux entreprises ». L’informatique et Internet ont rendu les entreprises suffisamment agiles pour rendre de telles menaces crédibles.

Mais le plus gros problème reste que l’argent des entreprises affaiblit les institutions démocratiques au nom d’une meilleure efficacité pour les consommateurs et les investisseurs. Les contributions aux campagnes électorales, les myriades de lobbyistes grassement rémunérés et les campagnes de relations publiques financées par les entreprises submergent la capacité qu’auraient les parlementaires, les organismes de réglementation et les tribunaux à prendre en compte les intérêts et les valeurs des travailleurs et des citoyens.

En conséquence, les consommateurs et les investisseurs s’en sortent de mieux en mieux, mais l’insécurité de l’emploi est grandissante, les inégalités se creusent, les communautés sont de moins en moins stables, et le changement climatique s’aggrave. Rien de tout cela n’est viable sur le long terme.

Faites porter le blâme à la finance mondiale et aux multinationales autant que vous voudrez. Mais gardez-en un peu pour ces consommateurs insatiables et ces investisseurs qui sommeillent en pratiquement chacun de nous, et qui sont entièrement complices. Et blâmez aussi notre incapacité, en tant que travailleurs et citoyens, à restaurer notre démocratie.

Robert Reich est professeur émérite de politique générale à l’Université de Californie à Berkeley. Il a servi dans trois administrations nationales, le plus récemment en tant que Ministre du travail sous la présidence de Bill Clinton. Il a écrit treize livres, dont « The Work of Nations », « Locked in the Cabinet », « Supercapitalism », et son plus récent livre, « Aftershock ». Ses commentaires « Marketplace» peuvent être écoutés sur publicradio.com et iTunes. Il est également président du conseil de Common Cause.

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